Test Syberia Remastered
Porté par le succès critique et public de la remasterisation de L’Amerzone : Le Testament de l’Explorateur (80 de moyenne sur Metacritic), l’éditeur Microids nous propose aujourd’hui une version modernisée d’un autre jeu culte chapeauté par Benoît Sokal : le premier Syberia.
Est-il encore nécessaire de présenter Syberia ? Développé au début des années 2000 pour une sortie en 2002 sur PC, le jeu d’aventure développé et édité par Microids a connu de nombreux portages : sur PlayStation 2 et Xbox en 2003, sur Nintendo DS en 2008 puis sur iOS, PlayStation 3, Xbox 360, Windows Mobile jusqu’à une version Switch en 2017. De ce succès découla rapidement une suite directe en 2004, Syberia 2 (largement portée elle-aussi), puis un troisième volet tardif et décrié en 2017. Récemment, c’est un excellent épisode hybride préquelle / suite que nous avons reçu sur PS5, PS4, Xbox Series, Xbox One, Switch et PC avec The World Before en 2022. La série revenue en grâce, tous les voyants étaient au vert pour lancer la refonte du volet fondateur que voici.
Sokal a raison
Voilà un nouveau jeu qui devrait alimenter la confusion entre remasterisation et remake. D’une manière générale, on parle de remasterisation lorsqu’on prend le produit d’origine (le master) et qu’on le modernise en peaufinant certains de ses aspects, comme ses graphismes et sa jouabilité. Quelques studios se sont spécialisés dans le genre, comme NightDive (les remasters de System Shock, The Thing, Turok, Killing Time, Quake II, Star Wars Dark Forces encore autres) et Aspyr (Soul Reaver, Tomb Raider, Deus Ex, Star Wars Racer). En revanche, on parle plutôt de remake quand le jeu est refait en partant de zéro, notamment avec un moteur différent. Pour Metal Gear Solid Delta, Silent Hill 2, Dead Space, Resident Evil 4, Final Fantasy VII, on parle effectivement de remake. Pour certains titres la distinction n’est pas évidente, comme Oblivion qui profite de graphismes nouveaux et va jusqu’à perdre ses doublages français, mais est affublé d’un simple « remastered » alors qu’il n’a plus rien à voir avec le matériau d’origine.
C’est aussi le cas de ce Syberia Remastered qui voit ses graphismes en images de synthèse (des fonds 2D dans lesquels circulent des personnages en 3D) passer à de la 3D temps-réel sous le moteur Unity. Tout est désormais constitué de polygones, que ce soient les personnages ou les décors, avec des ombres et lumières dynamiques et un stick analogique droit servant à bouger la caméra sur son axe. Les temps de chargement sont réduits, la prise en main est optimisée, et les doublages français demeurent, avec notamment Françoise Cadol (Lara Croft) dans le rôle de Kate Walker. Avocate américaine sans le moindre accent, Kate Walker doit finaliser l’achat de l’usine d’automates Voralberg nichée dans le petit village de Valadilène dans les Alpes françaises. Arrivée sur place, elle tombe sur un cortège funèbre et apprend par le réceptionniste de son hôtel que c’est Anna Voralberg, la propriétaire de l’usine, qu’on vient de mettre en terre. Un tragique événement qui remet en question son acquisition, lorsque le notaire du village lui explique qu’il existe un héritier, Hans, le frère cadet d’Anna porté disparu, et que c’est désormais avec lui qu’il faut traiter. Notre avocate doit alors retrouver la trace du nouveau propriétaire pour lui faire signer le contrat de vente. Une traque qui la fera revenir aux derniers endroits visités par Hans et qui glissera progressivement vers l’Europe de l’Est, d’où le nom Syberia.
Développé par Virtuallyz Gaming et le studio parisien de Microids, Syberia Remastered reprend les travaux du dessinateur de bande dessinée belge Benoît Sokal, aujourd’hui décédé. Ainsi, on retrouve ce monde fantastique plein d’automates doués de parole et de lieux inspirés de l’ancienne URSS avec des styles évoquant l’Art nouveau et l’Art déco. Le passage à la 3D intégrale n’altère en rien la qualité des décors basés à l’origine sur des arrière-plans dessinés par l’auteur. Mieux, elle les rend plus vivants en y ajoutant des reflets dans les flaques d’eau, des nappes de brouillard ou de la végétation qui bouge au gré du vent. Les modèles 3D ont gagné en détails et en finesse, les différents endroits profitent désormais d’une caméra qui use de travellings pour marquer Kate à la culotte et les objets de notre inventaire sont orientables dans tous les sens. Seule la présence de murs invisibles pour circonscrire les déplacements de notre héroïne, quelques petits bugs/glitchs, et les scènes cinématiques d’époque (parfois encore en 4/3) font tache dans cette mise à jour qui laisse par ailleurs le choix entre un mode qualité pour privilégier les graphismes et un mode performance pour plus de fluidité. La différence entre les deux ne saute pas aux yeux alors la fluidité des mouvements est peut-être à privilégier.
On zappe ou on automate ?
À son origine sur PC, Syberia était pensé comme un point’n’click traditionnel basé sur le déplacement de la souris dans les décors. Sur consoles on dirige directement Kate au stick analogique avec des ronds blancs qui apparaissent quand une interaction est possible : parler, prendre, actionner… Dans la pure tradition du genre, la progression repose sur l’exploration, le dialogue et la résolution d’énigmes. Le bouton R2 sert à courir dans les couloirs et les extérieurs mais pas dans les petites salles, le bouton Carré à décrocher son téléphone portable quand il sonne et Triangle à ouvrir l’inventaire. Celui-ci contient les documents récupérés, les objets trouvés et les objectifs à accomplir, à condition d’avoir opté pour le mode de difficulté « histoire » davantage assisté que le mode « aventure » dépourvu d’indication sur ce que vous devez faire. Dans les deux modes, les sujets de dialogues indispensables à votre progression sont en jaune, accompagnés d’un point d’exclamation, pour aller droit au but si vous ne voulez pas perdre votre temps à aborder des sujets secondaires. C’est une bonne idée, sans toutefois en abuser, au risque de passer à côté de pas mal d’éléments du lore et de ne pas s’attacher suffisamment au duo Kate-Oscar, sorte de C3-PO tatillon qui l’accompagne dans son périple.
Pour la résolution des énigmes, toujours logiques, il est intéressant de noter que la solution se trouve généralement assez proche du problème, et non à l’autre bout de la zone pour nous éviter des allers-retours fastidieux. L’ergonomie est également bien pensée. En effet, lorsqu’un objet doit être placé, une petite bulle apparaît et nous permet de faire défiler directement le contenu de notre inventaire sans avoir à l’ouvrir, nous faisant ainsi économiser une étape. On gagne en fluidité, réservant la lourdeur aux seuls déplacements d’une Kate un poil trop rigide à notre goût. Celle-ci est relativement lente, pataude, et n’est pas très à l’aise pour trouver son chemin dès lors qu’elle s’écarte des routes balisées comme en forêt par exemple. Rien de pénalisant dans l’absolu, mais c’est parfois frustrant de perdre une poignée de secondes à traverser des rues, des couloirs ou des quais de gare. On aurait aimé une carte permettant des déplacements rapides.
Cette remasterisation gagne également en immersion avec un téléphone portable dont la sonnerie et les voix des interlocuteurs sortent directement sur le haut-parleur de la DualSense et avec un retour haptique qui balance de petites vibrations différentes selon la nature du terrain arpenté. La présence d’une sauvegarde automatique à chaque nouvelle porte évite d’avoir à y penser pour se concentrer sur la narration captivante et la résolution des énigmes. Les dialogues bien écrits sont intégralement doublés et remasterisés, les textes sous-titrés français, mais la musique, bien qu’entraînante, à la fâcheuse tendance de boucler très rapidement jusqu’à devenir entêtante. Heureusement, il est toujours possible de réduire son volume dans le menu des options. Enfin, cette histoire sérieuse et dépaysante s’étalant sur une dizaine d’heures est proposée à 29,99€ en numérique (avec une remise de 10 % au lancement pour les membres du PlayStation Plus) et à 39,99€ en édition physique tirée en édition limitée.
Notre verdict
On aime
- La refonte graphique
- L’histoire prenante
- Les énigmes logiques
- Les doublages français
- L’immersion de la DualSense
- Une boite pour la collection
On n'aime pas
- La lourdeur de Kate
- L’absence de carte
- Les musiques qui bouclent rapidement
- Les cinématiques d’époque
Vingt-trois ans après sa première apparition sur PC, le point’n’click culte Syberia fait peau neuve pour faire les yeux doux aux nostalgiques et à ceux qui voudraient découvrir la série dans des conditions plus modernes. Les graphismes ont été entièrement refaits en 3D (lieux et personnages), les doublages français sont remasterisés, la jouabilité est plus confortable (sauvegarde auto, sujets clés surlignés, objets utilisables sans passer par l’inventaire) et l’immersion gagne un cran avec le haut-parleur et le retour haptique de la DualSense. Tout concourt à faire de cette passionnante histoire à travers l’Europe une nouvelle valeur sûre du jeu d’aventure sur PlayStation 5.
sophocle