(bon alors je préviens, ça risque d'être long, mais les commentaires se déclinent en plein de sujets différents et c'est pas de bol j'ai un peu de temps devant moi

De toute façon dans quelques heures on ne parlera plus que de l'intervention de Manu, donc je vide mon sac).
En intro je ressortirai ma phrase fétiche, "faut pas confondre les indicateurs et les objectifs". Les inégalités sont un indicateur, qui peut servir à évaluer une mesure ou une société, mais les résoudre n'est pas une fin en soi.
Les inégalités dans le cas de l'évaluation d'une mesure
Quand je parlais d'épiphénomène, c'est bien entendu dans le contexte où on évalue certaines mesures en se focalisant uniquement sur un cas précis mais sans regarder le bilan dans sa globalité (au risque d'ailleurs de manquer d'autres "épiphénomènes" qui peuvent être bien plus importants). Je prenais l'exemple des réactions face au bilan de 2020 sur le pouvoir d'achat, je pense que tout le monde se souvient avoir vu ce graphique et des réactions qu'il a suscitées :

(à noter au passage que je m'étais trompé dans mon commentaire précédent, les 2-8% n'étaient pas des gains en pouvoir d'achat mais des répartitions de l'enveloppe par tranche, mais ça ne change pas l'analyse globale).
Commentaire le plus fréquent : "c'est dégueulasse, c'est les ultra-riches qui en profitent le plus, Macron président des riches etc". Sauf que si on regarde dans la globalité, on constate quand même que l'ensemble de la population a bien profité de cette mesure et de façon significative (ce qui est plutôt une bonne chose surtout si on se rappelle qu'une grosse partie des tensions se situaient dans les "classes moyennes" qui régulièrement se sentent oubliées). C'est une mesure qui visait à augmenter le pouvoir d'achat de la population et notamment de la population active, et cet objectif semble globalement atteint. Dans ce contexte le fait que les ultrariches s'en sortent encore mieux est bien un épiphénomène qui en soi n'est pas un problème. Autre épiphénomène moins anodin, on constate quand même que les "ultrapauvres" y ont perdu eux, et ça c'est clairement plus problématique, mais curieusement ça n'a pas fait le gros de la contre-argumentation (c'est vrai que c'est moins vendeur que "président des riches").
Les inégalités dans le cas de la situation de la société
Question basique : c'est quoi une bonne société ? Est-ce que le but fondamental de la société c'est que tout le monde soit logé à la même enseigne pour qu'il n'y ait pas de jaloux ? A priori non. Si on remonte au besoin de base, le but premier dans la vie, c'est de ne pas mourir. Donc d'avoir de quoi s'alimenter, s'abriter des intempéries, se soigner quand on est malade, ne pas se faire buter par un ours ou son voisin etc. Besoins qui sont toujours présents et ne sont d'ailleurs toujours pas couverts pour l'ensemble de la population. A ces besoins on a rajouté parce qu'on est civilisé les besoins d'accès à l'éducation, la culture, et même les loisirs. Donc sur le principe si tout un chacun pouvait avoir accès à toutes ces garanties, on serait dans une société plutôt idyllique, peu importe qu'il y en ait qui portent des pyjamas en soie et d'autres en coton.
Est-ce que pour autant il ne faut pas s'inquiéter de voir l'état des inégalités dans la société actuelle ? Non (d'où ma réaction qui prêtait à ambiguïté plus haut), mais je le détaille dans le chapitre suivant (cliffhanger !).
La répartition des richesses
Autre question basique : c'est quoi les richesses ? Dans le temps c'était plutôt facile, les riches c'étaient ceux qui avaient des terres. Ces terres ils pouvaient les cultiver, en extraire le minerai, y construire des trucs qui par extension constituaient aussi une richesse etc. On pouvait aussi posséder des gens mais la pratique s'est perdue. Aujourd'hui c'est bien moins clair, les richesses c'est surtout la valeur qu'on est prêt à donner à tout et n'importe quoi à un instant t, et c'est loin d'être aussi concret qu'un hectare de terrain dans le Cantal. Un gamin fait une croix sur un papier et dit "on va dire que ça vaut de l'argent, combien vous m'en donnez ?" et paf le bitcoin vaut des milliards. Un squelette de dinosaure vaut une fortune, pas pour sa valeur intrinsèque mais par pure spéculation. Si j'ai un milliard dans la Silicon Valley, demain il peut valoir deux milliards ou trois kopecks.
Bref une grosse partie des richesses est aujourd'hui virtuelle, et les inégalités de répartition que l'on observe sont pour beaucoup liées au fait que la création de richesse se fasse aujourd'hui sur du vent.
Les algorithmes et la non-"lutte des classes"
Il n'y a pas que les richesses qui sont devenues virtuelles, le patronat est également virtuel. Comme je l'avançais plus haut, aujourd'hui les patrons ne sont plus Monsieur Untel qui a fondé la société Untel avec la fortune familiale et qui sera reprise par Untel Junior, mais des organismes spéculatifs dont la seule tâche est de faire fructifier l'argent qu'on leur a confié. Bon il y a bien quelques "gros" propriétaires identifiables (qui s'ils étaient vraiment décisionnaires et seuls dans ce rôle constitueraient plus une oligarchie qu'une situation de lutte des classes), mais sur le fond ça ne fait pas tellement de différence, tous les investisseurs/propriétaires fonctionnent avec un algorithme simple : "j'ai annoncé que ce placement rapporterait X% alors débrouillez-vous pour avoir une croissance de X%". En gros "créez plus de richesses, si possible de façon virtuelle parce que ça va plus vite".
Quelque part je préférerais qu'on en soit encore à la lutte des classes, parce que celle-ci s'appuie sur de l'humain qui peut prendre du recul sur la véritable valeur de son entreprise et son rôle dans la société. D'ailleurs à l'époque de la "vraie" lutte des classes on a pu voir émerger des initiatives intéressantes de la part du patronat (cf le familistère de Godin par exemple). Aujourd'hui on est sur pilote automatique sans personne qui ne prenne la peine de vérifier qu'on est toujours sur la bonne trajectoire.
En un sens ça rappelle la situation de l'information à l'ère des réseaux sociaux, dans le temps toute l'info passait par la presse, il pouvait y avoir des abus, de la propagande etc., mais au moins on avait toujours un être humain aux commandes qui avait la capacité de dire "bon ok faut faire des ventes mais ça on peut pas l'écrire !". Alors qu'un algo Facebook il fait "on m'a dit de faire du clic, les propos antivax ça fait du clic alors tu me fais x10 sur les messages antivax".
Conclusion
J'ai pas de conclusion. Allez comme dit Voltaire, "il faut cultiver notre jardin", faites-en ce que vous voulez.
