Yoan Fanise : « Grâce aux joueurs, nous sommes rentrés dans nos frais »

Publié le par
PS5 XSX PS4 XB1 SWT PC

Un peu moins d’un an après sa sortie initiale sur PC et Nintendo Switch, Road 96 vient d’arriver sur consoles PlayStation et Xbox. L’occasion pour PlayFrance de prendre des nouvelles de Digixart, qui a développé cette aventure narrative multi-primée lors des Pégases 2022. Le directeur créatif Yoan Fanise revient sur la conception du jeu, mais aussi sa réception et les derniers mois du studio.

PlayFrance : Yoan, toutes nos félicitations pour les cinq prix remportés aux Pégases 2022 par votre dernier jeu, Road 96. On imagine que c’est une belle reconnaissance pour Digixart.

Yoan Fanise : Merci beaucoup, nous ne nous attendions pas du tout à recevoir tous ces prix. C’est une immense fierté pour le studio, et cela confirme que notre manière de créer, assez singulière, porte ses fruits et permet d’inventer des choses nouvelles que les joueurs aiment.

Vous avez notamment reçu deux prix assez singuliers : celui de l’accessibilité et l’autre, dit de « au-delà du jeu vidéo ». Que représentent ces deux distinctions à vos yeux ?

Ce sont celles qui me touchent le plus à titre personnel car elles représentent le petit plus que nous essayons de mettre dans nos jeux, ce deuxième niveau de lecture qui peut toucher le joueur et lui faire se poser des questions plus profondes, comme « Que ferais-je si j’étais dans cette situation ? » Et l’accessibilité est un point crucial que nos designers ont toujours à l’esprit, même si nous aurions aimé faire mieux, pour la sélection des dialogues par exemple.

A cette cérémonie comme lors du Nintendo Direct, ce sont vos collaborateurs qui ont pris la lumière. Fait plutôt rare dans cette industrie où les projets sont souvent incarnés par une tête créative ou des guest stars… C’était important pour vous ?

Oui, car c’est un projet d’équipe où tout le monde participe à la création de l’histoire, du gameplay, de tout. Nous fonctionnons de manière hyper horizontale, car je crois que la verticalité va à l’encontre de la créativité. Et je pense que les gens ont assez vu ma tête dans la presse depuis Soldats Inconnus, en 2014. Il faut mettre en avant notre équipe et sa diversité, c’est notre plus bel achievement.

Road 96 a peut-être bénéficié d’une plus grande exposition que vos précédents titres. Comment se négocient ces apparitions sur des rendez-vous très regardés comme les Game Awards ou un Nintendo Direct ?

En tant qu’indépendant, je savais que la visibilité serait la clé pour le succès du jeu, ou au moins pour le faire connaître. A nous ensuite, de transformer l’essai avec un titre de qualité. J’ai donc contacté Geoff Keighley, qui m’avait remis deux Game Awards pour Soldats Inconnus. Il m’a répondu tout de suite et a bien voulu nous aider pour le reveal de Road 96. C’était formidable pour nous : quatre-vingts millions de viewers, sur le plus gros évènement de jeu vidéo… Et ensuite, Nintendo nous a contactés pour nous aider aussi. Tous les dominos se sont imbriqués de manière inespérée.

La pandémie de Covid-19 a-t-elle affecté le développement du jeu ?

Heureusement, nous avions déjà fini la phase de pré-production du jeu. L’équipe se connaissait bien, on est donc passé en télétravail en deux jours, le temps d’apporter des machines à ceux qui n’en avaient pas chez eux. Mais je pense que si nous avions été plus en amont dans la conception, ç’aurait été plus dommageable. Je ne m’imagine pas brainstormer et rebondir sur les idées avec tout le monde en visio, ça enlève trop de spontanéité. Dès que le télétravail a été assoupli, toute l’équipe a voulu revenir au studio pour être ensemble. C’était génial, ça voulait dire qu’on adore tous cette manière de produire ensemble.

Dans la foulée de sa sortie sur PC et Nintendo Switch, Road 96 a été streamé par un certain nombre d’influenceurs. L’avez-vous conçu avec cette idée de « jeu à streamer » à l’esprit ?

Nous avons tout de suite pensé à la problématique des replays sur YouTube pour les jeux narratifs, d’où la création de ce système narratif complètement fou qui crée un voyage différent pour chaque joueur (…) Je suis un peu décalé avec mes 40 ans, mais j’ai réellement découvert l’impact des influenceurs à la sortie de Road 96. Des milliers de gens, jusqu’à trois millions en Chine, ont regardé le jeu en live et avaient l’air d’aimer ce qu’ils voyaient. Même des influenceurs américains détestant la politique se sont pris au jeu et c’était très drôle à voir. Ce qui faisait le plus peur était de voir apparaître un gros bug bloquant, comme a eu Domingo. On a corrigé ça dans les heures suivantes et patché le jeu direct. C’était un sacré moment de stress mais on n’avait pas vraiment les moyens de tester les millions de possibilités du jeu.

Au-delà de son nombre de « vues », le jeu s’est-il bien vendu ?

Il a bien marché sur les deux premières plateformes, et j’espère que ce sera le cas aussi sur Playstation. Nous sommes pour la première fois rentrés dans nos frais grâce aux joueurs et cela nous permet de développer les projets suivants avec plus de moyens, c’est génial.

Peu après la sortie de Road 96, Digixart a été acquis par le groupe Embracer. Quelles conséquences ce rachat a-t-il sur la vie du studio, sur le développement de vos futurs projets ?

Nous n’avons pas changé notre manière de créer, nous pouvons en revanche laisser plus libre cours à nos ambitions les plus folles et ça, c’est génial. Le groupe Embracer et sa filiale Koch Media dont nous faisons partie nous aident sans nous influencer créativement. Cette confiance et cette décentralisation sont une énorme force, c’est pour ça que nous avons choisi de les rejoindre. Il est trop tôt pour dévoiler nos projets en développement mais je peux assurer qu’ils sont terriblement excitants. Comme le disent les Anglo-saxons : « The sky is the limit ».

Road 96 est votre troisième jeu narratif, il est néanmoins très différent des précédents. Qu’est-ce qui a motivé ce choix d’une narration procédurale ?Il y avait plusieurs raisons à créer un système procédural : le goût pour le challenge et l’innovation, faire quelque chose dont beaucoup disaient que c’était impossible… Également, le fait de donner envie aux consommateurs de let’s play d’acheter le jeu pour se faire leur propre expérience. Et puis, sur le thème du road trip surtout, c’est justement la liberté de choisir d’aller où l’on veut. C’était logique de donner cette liberté au joueur.

Quand on parvient à créer un tel système, très complexe, n’est-il pas tentant de le réutiliser, voire de l’améliorer dès le jeu suivant ?

Oh, c’est une question très intéressante et je vous remercie de l’avoir posée ! Et je suis au regret de ne pouvoir y répondre :-) .

L’histoire du jeu a un propos très politique, avec une résonance plus que jamais d’actualité… Pourquoi avez-vous souhaité aller dans cette direction ?Aucune thématique ne nous fait peur à DigixArt. Comme l’avait très bien dit John Lasseter (ancienne figure des studios Pixar), il n y’a pas de mauvais sujet. Qui aurait parié sur un film avec un rat qui fait la cuisine dans un restaurant parisien ? Nous concernant, nous ne voulions pas spécialement faire un jeu avec une composante politique mais l’univers que nous avons créé nous y a amené naturellement. Mais en laissant la décision au joueur de pouvoir dire « Je n’en ai rien à faire », d’avoir un côté plus anarchiste. Il s’agissait surtout de ne jamais juger ses choix, de le respecter quel que soit le style qu’il veut donner à l’adolescent qu’il incarne.

Restez-vous attentif aux évolutions du genre « aventure narrative », qui est un peu la spécialité de votre studio ?

Je suis un peu intemporel dans les titres auxquels je joue. What Remains of Edith Finch et Sayonara Wild Hearts restent des ovnis que j’adore rejouer et qui m’inspirent. Mélanger différents genres, ne pas se limiter à un seul type de gameplay, sont des choses qui m’intéressent. C’est ce que l’on appelle désormais le « messy design », un concept que j’adore.

L’industrie est elle aussi en constante mutation, et notamment sur la question des conditions de travail au sein des studios (crunch, comportements toxiques, etc.). Quel regard portez-vous sur cette parole qui se libère et les témoignages qui émanent de nombreuses entreprises, dont certaines françaises ?

C’est une très bonne chose. J’ai grandi quinze ans dans une industrie qui n’était pas encore structurée, mature. Je me souviens que mes parents trouvaient bizarre de me voir bosser le week-end et tard le soir pour faire des jeux vidéo. Pour un métier de pompier ou urgentiste, ça a du sens mais là, c’est vrai que ce n’était pas normal. Je suis donc très heureux que nous ayons réussi à guérir ce mal, de ces mauvaises habitudes qui étaient là depuis toujours. Sur Road 96, nous n’avons jamais crunché et c’est une immense fierté que d’avoir réussi à organiser le travail pour éviter ces écueils. Et puis, ça me permet de voir plus mes enfants, même si une fois couchés, je m’y remets… J’aime ces moments seuls, de nuit, dans l’obscurité, ça m’aide à prendre du recul et je ne vois pas ça comme du « travail ». C’est mon kif, ma vie. Et pour la toxicité, nous faisons très attention à cela dès le recrutement. L’équipe est très sensibilisée à ces questions, le respect et la diversité sont profondément inscrits dans notre ADN. J’espère que nous n’aurons jamais à faire face à ce genre de comportements.


Pour conclure, pourriez-vous nous faire quelques petites confidences sur vos futurs projets ?

Malheureusement non, il est trop tôt pour en parler. Je peux juste dire que nous avons démarré pas un, mais plusieurs projets de différentes tailles. Comme je l’ai dit plus tôt, avoir rejoint Embracer débloque toutes mes envies les plus folles, alors j’en profite !

Road 96 est disponible depuis le 14 avril sur toutes les plateformes du marché !

Les commentaires
Le
Superbe entrevue. Un titre que je garde dans ma liste de jeux à faire.

Jeux concernés

Publicité