Vos choix vous définissent
Qui ne s'est jamais dit en regardant un film qu'il aurait agi différemment à la place du héros ? Cette interactivité rêvée est une réalité dans le joyeux monde des jeux vidéo depuis près d'un quart de siècle avec la sortie des premiers jeux en FMV en salles d'arcade. Passé de mode ces dernières années du fait d'une avancée technologique qui imite de mieux en mieux la réalité, ce type de jeux a récemment retrouvé un écho grâce au développeur indépendant Wales Interactive qui nous avait jusque-là habitués à des titres de seconde zone voire carrément mauvais (Infinity Runner et Coffin Dodgers pour les montrer du doigt). Late Shift est sans doute sa meilleure production à ce jour, probablement parce que c'est celle qui s'éloigne le plus du jeu vidéo traditionnel.
Ce titre est en réalité un film interactif réalisé par Tobias Weber et scénarisé par Michael R. Johnson à qui nous devons le Sherlock Holmes de 2009. On y suit la nuit la plus longue de la vie de Matt (Joe Sowerbutts), un étudiant en mathématiques qui occupe le job de gardien de nuit dans un parking de bourgeois afin de financer son école. Alors que cette nuit avait démarré laborieusement comme toutes les autres, notre jeune héros est attiré par un comportement suspect sur sa caméra de surveillance. Une fois sur place et en moins de temps qu'il n’en faut pour le dire il se retrouve otage, contraint de devenir le chauffeur d'un truand plus en état de conduire. La suite de ce thriller, vous la découvrirez et la façonnerez par vous-même. En effet, l'histoire donne régulièrement au spectateur / joueur le choix dans les réponses à donner, les actions à entreprendre, le comportement à adopter et les décisions à prendre. C'est à vous de déterminer si vous voulez devenir le complice volontaire des malfrats si vous voulez tenter de fuir ou si vous voulez saboter leur entreprise de l'intérieur.
Concrètement, à chaque embranchement scénaristique apparaissent deux ou trois options possibles pour autant de conséquences sur la suite de l'histoire. Vous disposez d'une poignée de secondes pour prendre une décision, sinon le jeu tranche à votre place. Certains choix ne sont qu'un léger détour de la trame principale à laquelle on se raccroche bien vite alors que d'autres, plus radicaux, modifient les lieux visités, les rapports entre les personnages et le dénouement, évidemment. Au total le jeu compte sept fins différentes, l'histoire complète tient sur quatorze chapitres et quelque 180 points de décision vous attendent. Selon la fin que vous décrochez – prématurée, mauvaise, bonne ou très bonne - la durée du film s'étend entre une heure et une heure trente, ce qui n'est pas folichon pour un film à suspense. Une demi-heure supplémentaire aurait permis d'épaissir la trame et d'apporter plus de profondeur aux protagonistes, mais la replay value est très importante si vous souhaitez voir les sept fins. Pas forcément en les enchaînant les unes après les autres car une insupportable répétitivité se ferait ressentir, mais sur la longueur pourquoi pas. Le jeu n'est de toute façon pas taillé pour être rushé étant donné qu'il ne comporte ni chapitrage comme sur un DVD, ni avance rapide, et encore moins de tableau récapitulatif des décisions pour modifier juste un choix. Vous devez recommencer votre partie à chaque fois et assister à toutes les scènes.
Arnaques, clics et sticks analogiques
Si nous sommes tentés de comparer Late Shift à The Bunker (du même éditeur), on constate vite que le plus récent des deux est encore moins interactif. Plus de contrôle des déplacements, plus de documents à lire, plus de puzzle mais uniquement des décisions à prendre. Pourtant, la mayonnaise prend carrément mieux ici grâce à une histoire plus intéressante tenant en haleine du début à la fin. On se prend d’attachement pour notre jeune malchanceux et les acteurs, d'une manière générale, jouent convenablement. Les dialogues sont en anglais pour plus d’authenticité (le jeu a pour cadre le Londres nocturne) et les sous-titres en français. De base, ce nouveau jeu gomme directement deux des défauts du précédent, soit une meilleure compréhension et surtout une tarification moins lourde avec 7,50€ de moins sur la balance pour un prix de 12,49€ psychologiquement plus acceptable.
Techniquement le « jeu » a été filmé en haute définition et se rapproche d'une qualité Blu-ray non compressée avec un format 16/9 laissant apparaître des bandes noires sur lesquelles s'incrustent les sous-titres. Il est possible de mettre le jeu en pause à tout moment mais pas de revenir en arrière ni n'accélérer le visionnage. Un système de sauvegarde invisible permet de quitter l'expérience pour y revenir plus tard sans repartir de zéro. Les trophées sont naturellement de mise et on note un très léger décrochage à peine perceptible d'une scène à l'autre après une prise de décision, un peu comme le passage d'une couche à l'autre d'un DVD double couche. Rien de dérangeant, il faut vraiment avoir l’œil dessus pour tilter. Dommage que les développeurs n'aient pas poussé le concept du film « dont vous êtes le héros » aussi loin qu'une authentique œuvre du septième art toujours accompagnée de bonus type bande annonce, making-of, bêtisier… La démarche aurait été appréciable alors qu'ici, une fois passé le générique, il n'y a plus rien à faire à part recommencer, si on le souhaite. Enfin, la partie sonore est de bonne facture avec des acteurs professionnels qui font le boulot et des musiques qui s'accordent avec le type de situation, tantôt dynamiques tantôt discrètes, tantôt tendues. Toutes les conditions de forme sont réunies pour passer un agréable moment devant sa téloche sans se prendre la tête avec la manette (un seul bouton sollicité en plus du stick !).
Vincent