Aaaaah, on l'attendait "Bétharram : les « preuves absolues » de François Bayrou démenties par de nouveaux documents" :
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FrançoisFrançois Bayrou a « les preuves ». Comme lors de son audition devant la commission d’enquête, le premier ministre le jure, il a les preuves qu’il n’a pas menti sur ce qu’il savait des violences physiques et sexuelles à Notre-Dame-de-Bétharram. Il les a même publiées sur son site (bayrou.fr, inaccessible à l’heure où nous publions) vendredi avant de subir une attaque informatique et de finalement les transmettre à BFMTV.
« Nous avons mis ces documents en ligne vendredi soir. Et puis dimanche, il y a eu une cyberattaque massive pour faire sauter le site. Et le site a sauté ! », a expliqué François Bayrou sur BFMTV mardi 27 mai, assurant avoir mis à disposition des Français·es « la preuve absolue par des documents que toutes les accusations étaient fausses ».
Après avoir annoncé déposer plainte, le chef du gouvernement a ensuite versé dans le complotisme. « Un responsable politique, premier ministre de surcroît, qui est attaqué ignominieusement pendant des mois […] et qui apporte la preuve que tout ça est faux, et vous avez des gens qui montent des attaques numériques massives pour qu’il ne puisse pas montrer les documents. Qu’est-ce que c’est que ce pays-là ? C’est du totalitarisme !, s’est-il emporté. Pourquoi veulent-ils empêcher qu’on les montre ? Je pense que ce qu’ils ne supportent pas, c’est que la vérité s’impose. »
Le lendemain, le premier ministre a donc transmis les mêmes éléments à la chaîne d’information. « On trouve dans les textes transmis à BFMTV et RMC “des faits et documents” qui “ont été difficiles à faire apparaître”, assure le centriste », peut-on lire sur le site de la chaîne.
En réalité, ces éléments publiés par BFMTV ou le contenu de son site, toujours consultable sur Waybackmachine, ne montrent aucune « preuve absolue » ni aucun document exclusif. Tous avaient été révélés par la presse ou mentionnés par les rapporteurs de la commission d’enquête.
François Bayrou savait et n’a rien fait
Sur son site, comme devant la commission, le premier ministre maintient n’avoir été informé « que par la presse » des violences dénoncées en 1996 et en 1998 à Notre-Dame-de-Bétharram, établissement catholique dans lequel sa femme a enseigné la catéchèse et où ses enfants étaient scolarisés. Mais cette affirmation reste mensongère puisqu’il disait tout l’inverse avant le 14 mai.
Il niait catégoriquement avoir été informé de la moindre violence, sexuelle ou physique en février 2024 dans Le Point, en mars 2024 dans Le Monde ou dans Le Parisien. Puis le 11 février, devant la représentation nationale, lorsqu’il affirmait tout ignorer, et le 12 février, lorsqu’il répétait n’avoir « jamais » été « averti en quoi que ce soit ».
« J’ai vu et je suis intervenu », se vante-t-il désormais. Pour appuyer ce revirement, François Bayrou évoque sur son site l’inspection administrative diligentée en 1996 après la plainte de Marc Lacoste, un élève ayant eu le tympan perforé par les coups d’un surveillant. Aujourd’hui, le premier ministre affirme que le rapport rendu est « parfaitement clair », qu'il ne relevait « pas d’autres faits de violences, bien au contraire », et que l’auteur a même passé du temps sur place en échangeant « avec une vingtaine de personnes ». « Je trouve, moi, que c’est une vraie vérification », a-t-il osé dire à l’Assemblée.
Le maire de Pau travestit totalement la réalité et oublie de préciser que l’inspecteur reconnaît lui-même que ce rapport était totalement bâclé et que les élèves auditionnés avaient tous été sélectionnés par le directeur de l’établissement mis en cause. Surtout, le rapport, qu’il dit aujourd’hui n’avoir pas lu intégralement, confirme bien les coups du surveillant ayant perforé le tympan de l’élève et le fameux supplice du perron.
À l’époque, l’élu palois s’était rendu quinze jours après à Bétharram pour défendre l’établissement, malgré ces éléments accablants. Il ne semblait pourtant rien ignorer des sévices physiques qui pouvaient avoir lieu. Dans un document du conseil d’administration de Bétharram obtenu par la commission, le père Landel, directeur de l’institution, expliquait après cette inspection qu’il allait falloir « mener une réflexion sur la violence, demandée par M. Bayrou ».
Sur les violences sexuelles, le premier ministre explique là encore qu’il avait finalement bien été alerté, mais seulement lorsque la presse a rendu « compte de la mise en examen et [de] l’incarcération » du père Carricart. « Reprocher à François Bayrou de ne pas avoir dénoncé à la justice des faits dont elle est déjà saisie n’a aucun sens », peut-on lire sur le site du premier ministre, qui omet de dire qu’il était alors président du conseil général, justement chargé de la protection de l’enfance. Et qu’il n’a donc mené aucune action pour protéger les enfants de cet établissement.
Le surveillant n’a pas été licencié après sa condamnation
Sur son site, François Bayrou répète ce qu’il a affirmé sous serment le 14 mai en expliquant que Marie-Paul de Behr, surveillant condamné en 1996, avait été licencié dans la foulée. « La bonne foi du premier ministre lors de son audition le 14 mai 2025 ne peut donc pas être remise en cause », précise François Bayrou, citant une lettre du directeur de Bétharram disant se séparer de ce surveillant.
Cette affirmation est totalement fausse puisque le surveillant n’a pas été licencié dans la foulée. « Entre 1997 et 1998, ce surveillant est toujours présent à Bétharram, ayant même obtenu une promotion », devenant conseilleur principal d’éducation (CPE), a d’ailleurs rappelé Alain Esquerre, porte-parole du collectif de victimes auprès du Parisien. Comme l’a révélé Libération, Marie-Paul de Behr est en effet toujours mentionné dans les effectifs pédagogiques de l’école pour l’année 1997-1998, des éléments confirmés par des courriers de l’association de parents d’élèves, et la gazette de l’institution indique même qu’il est toujours membre de l’équipe éducative en 1998.
François Bayrou s’attaque bien à une lanceuse d’alerte
C’était l’axe central de sa défense devant la commission : attaquer violemment la première lanceuse d’alerte, une des seules personnes à avoir dénoncé les violences à Bétharram à l’époque, pour la discréditer et balayer ses graves accusations. Comme plusieurs témoins, Françoise Gullung, enseignante à Bétharram, affirme de manière constante que la femme de François Bayrou a été témoin de violences sans porter assistance aux élèves et précise avoir alerté deux fois le premier ministre, par écrit et oralement.
Le chef du gouvernement a donc tout tenté pour la discréditer, en allant jusqu’à mettre en cause sa « santé mentale » et en tentant de trouver des contradictions ou des « affabulations » dans son témoignage. De nombreux documents retrouvés par Mediapart crédibilisent pourtant la version de cette enseignante, qui a alerté médias et autorités à de nombreuses reprises pour protéger les élèves de cette école.
Elle est ainsi citée comme enseignante et victime dans un compte rendu d’une réunion datée du 15 avril 1996 en présence du père de Marc Lacoste, mais aussi d’Alain Esquerre. Dans un courrier du 19 avril de la même année, elle prend ses distance avec un courrier envoyé par le père de l’élève mais explique être prête à solliciter « les pouvoirs publics » pour limiter les « abus » et violences au sein de l’institution.
Auditionnée sous serment, Françoise Gullung, en poste à Bétharram à partir de 1994, a aussi affirmé avoir rencontré le père Carricart à une réunion en 1996 lors de laquelle l’ancien directeur de l’établissement l’aurait dissuadée de dénoncer les violences dont elle avait été témoin.
Impossible, selon le premier ministre. « Depuis quatre mois, je suis quotidiennement sali, quotidiennement diffamé avec des affirmations qui reposent en grande partie sur le témoignage de cette dame », a-t-il fustigé, affirmant qu’il était impossible qu’elle ait pu rencontrer cette personne, mise en examen deux ans plus tard pour viols sur mineurs. « Mme Gullung ne peut pas connaître Carricart, il est parti à Rome depuis des années au moment où elle est recrutée dans l’établissement. Carricart est parti à Rome, selon les interprétations, entre 1991 et 1993. Il n’est pas vrai qu’elle connaissait le père Carricart. Jamais Carricart n’intervient après dans l’établissement. »
Selon plusieurs documents retrouvés par Mediapart, l’accusation de François Bayrou ne tient pas. D’abord parce que le père Carricart ne peut pas avoir quitté la ville en 1991 : il dirigeait l’établissement jusqu’en 1993, comme l’indiquent des archives de l’INA et du Monde. Une photo publiée par Sud Ouest en avril 1993 le confirme aussi.
Ensuite parce qu’après son départ au Vatican, le directeur serait resté proche de l’établissement, comme l’écrit Alain Esquerre dans son livre, que le premier ministre avait pourtant sur sa table lors de son audition. Le père Carricart, installé en Italie, représentait la congrégation des pères de Bétharram et a ainsi pu revenir dans la région, comme en mars 1997 selon une archive de Sud Ouest pour participer à une messe pontificale à Bayonne. Rien ne permet donc de démentir les propos tenus par Françoise Gullung. En tentant de dénigrer cette lanceuse d’alerte, l’élu de Pau vient en réalité donner du crédit à son témoignage. Pour la première fois, il reconnaît avoir pu la rencontrer, comme elle l’a affirmé de manière constante à Mediapart et à l’Assemblée nationale. Et avoir pu ignorer ses alertes, alors même qu’il était ministre de l’éducation. « Mme Gullung vient me voir, dit-elle, et je veux bien lui faire confiance, le 17 mars 1995. Il n’y avait pas eu de plainte avant, il n’y avait pas eu de signalements dans la presse. Et donc j’ai pu répondre évasivement car son affirmation ne reposait sur aucune plainte », a-t-il déclaré à l’Assemblée. Sans plainte, un ministre de l’éducation pouvait pourtant agir et saisir la justice ou l’inspection générale.
François Bayrou a pu bénéficier d’informations privilégiées en violation du secret de l’instruction
Le premier ministre, après l’avoir nié, reconnaît enfin avoir rencontré le juge Mirande, saisi du dossier de viol à Bétharram. Pourquoi a-t-il dit l’inverse pendant des mois ? « Interrogé plus de vingt-cinq ans après sur une discussion précise avec le juge Mirande, François Bayrou ne s’en est simplement pas souvenu non plus », peut-on lire sur son site. Mais en s’appuyant sur le témoignage du juge, il conteste toute violation du secret de l’instruction. « Les informations confirmées par Christian Mirande ne relèvent plus du secret de l’instruction », écrit-il.
Problème : le maire de Pau oublie de mentionner un autre témoignage, celui de sa fille, qui a expliqué sur le plateau de Mediapart que le secret d’instruction avait bien pu être violé. « Il ne s’en souvient pas, je pense, mais je suis là, le soir où il rentre de chez le juge Mirande. On est là, tout seuls, tous les deux », révélait Hélène Perlant, affirmant que François Bayrou lui avait alors demandé : « Ne le répète surtout pas, j’ai juré d’être dans le secret de l’instruction. Est-ce que tu crois possible, ça [les accusations de violences sexuelles qui visaient le père Carricart – ndlr] ? » Et de poursuivre : « Et il m’a dit : “Il [le père Carricart – ndlr] est en prison, qu’il y reste !” »
François Bayrou a pu intervenir en faveur du père Carricart
Enfin, le premier ministre jure n’être jamais intervenu en faveur du père Carricart et croit le prouver en accusant le gouvernement socialiste qui a succédé. Comme l’avait montré Mediapart, l’inertie du pouvoir socialiste interroge mais n’exonère en rien François Bayrou. Lui aussi aurait pu agir depuis le conseil général qu’il présidait. Il aurait par exemple pu cesser d’accorder des subventions facultatives à Notre-Dame-de-Bétharram. Au moins 1 million de francs (soit plus de 230 000 euros actuels) entre 1995 et 1999.
Lors de son audition, il s’en est aussi violemment pris au gendarme chargé de l’enquête, Alain Hontangs, qui évoquait sous serment son intervention lorsque le père Carricart était mis en examen. « L’idée qu’il puisse y avoir une influence sur un collège de trois magistrats, c’est une idée purement et simplement délirante », a contesté le premier ministre, avant de s’en prendre à l’enquêteur : « Qu’est-ce qu’ils ont fait, ceux qui étaient chargés de l’enquête, et nommément M. Hontangs, pendant un an ? Et on soupçonne qu’un député d’opposition serait intervenu alors que les magistrats et les gendarmes ne font pas le boulot ? »
Alain Hontangs, le gendarme en question, a vivement contesté cette « entreprise de dénigrement » dans La République des Pyrénées et maintenu toutes ses affirmations. Dans un courrier de quatre pages, il détaille ses nombreux actes d’enquête et notamment l’identification de témoins qui a pris du temps. « Nous ne sommes pas dans Commissaire Moulin, Navarro ou Capitaine Marleau. Dix ans s’étaient écoulés. Les ados étaient devenus de jeunes adultes. Des familles avaient déménagé, changé de numéro de téléphone… », s’est-il agacé. « Contrairement à ce que M. Bayrou prétend, j’ai fait, et mon travail a été payant », rappelle-t-il. Parmi les anciens témoins identifiés, l’un d’eux, retrouvé par Mediapart, avait justement pu déposer plainte contre le père Carricart. La deuxième pour viol sur mineur.
Boîte noire
Sollicité pour avoir des éléments sur les documents publiés sur son site internet et sur la plainte annoncée après une « cyberattaque massive », le cabinet du premier ministre n’a pas souhaité donner suite.